La nuit la (presque) plus longue

Le silence se fait sur les vieux canapés en cuirs. L’écran s’allonge légèrement et la bobine aux 35mm entame son tour d’honneur. Devant nous, les images crépitent, tressautent légèrement, et nous portent instantanément dans un passé récent. C’est si laid ! Et ça l’est, Roubaix en grand, avec ses immeubles usés et ses rues vieillisantes. Laide aussi cette famille tordue. Odieuse, cynique, tourmentée et puis tout à la fois romanesque, compatissante, poétique: c’est un conte de Noël acidulé qui ressucite mon pays d’enfance.

Là, Je me tiens entre le jour et la nuit, entre le matin et le soir, entre une journée isolée et un diner bruyant. Elles m’envoient en flux discontinu l’église aux bancs inconfortables, l’éternel repas que personne n’aime plus depuis longtemps, les verres scintillants de bulles et les beaux vêtements. Maintenant, voilà ma pensée coincée en plein milieu de l’océan.

C’est finalement lui qui franchit la distance, m’emporte un peu vers lui et se porte un peu vers moi. Je l’imagine assis de sa manière un peu bancale, les jambes croisées et un livre à la main au milieu de toutes ses petites lumières qui illuminent toujours la nuit notre salon pourpre. Il me l’écrit à toute vitesse mais il aurait tout aussi bien pu l’énoncer, levant son nez un instant de ses pages :

La nuit sera douce et belle. C’est Noël. Même pour les solitaires.

Tocade

Je suis pleine, gavée comme une oie avant Noël. C’est que je n’ai plus l’habitude du nouveau à la chaîne. Tous ces jours qui s’accumulent ; ces moments qui durent des heures ou parfois juste un instant mais qui viennent s’ajouter à la masse impertinente de souvenirs que je trimbale. C’est un truc auquel on ne pense pas, que ça pèse lourd un souvenir. J’avais oublié aussi. En un mois à peine, ils m’ont engraissée, nourrie à l’extrême, tant et si bien que je voudrais bien en arracher quelques uns pour que ça m’écrase un peu moins.

Toi là, qui lit. Tu ne voudrais pas t’asseoir un peu ? Prends juste un peu de temps, laisse moi faire défiler les mots pour raconter le monde, l’histoire, la vie et plein d’idioties. Laisse moi te céder un peu de ma carcasse, en vrac. Tu es pressé, je sais bien mais écoute sinon j’implose. Laisse-moi partager, attrape le bout du fil, effile, prends un peu, fais de l’espace libre pour mes souvenirs et aussi, un peu, pour les tiens.

Des chaussettes violines sous un costume

Me voilà enfin ancrée au port des anges. Ma ville m’accepte et je lui rend son attachement avec plaisir. Une renaissance parmi la poussière des murs qui tombent et s’élèvent en perpétuel mouvement. Les dalles blanches cahutées font de la place à mes grandes enjambées parisiennes et en sous-sol, les racines épaisses y font aussi leur chemin avec l’assurance naturelle d’un monde que l’on n’effraie pas. Plutôt que de les fendre en carré versaillais, la cité reconstruit au-dessus, donnant aux trottoirs une légère houle californienne.

Pourquoi es-tu venue ? Admettre sans rougir ne pas savoir, que cela aurait pu être ici ou ailleurs, que les paillettes environnantes ne m’illuminent pas mais que j’y aime le naturel des gens. Ils s’adressent les uns aux autres, au hasard d’une rue, s’apostrophent à tout va Ca va ? Ca va et vous ? Tous les prétextes sont bons à conversation.

J’aime aussi leur non-goût vestimentaire. Au quotidien, le confort avant tout m’explique ma voisine de palier. Elle balbutie aussi, fière, quelques mots en français, modèle de cette confiance innée qui nous est si étrangère. Néanmoins, l’uniforme est de rigueur officiellement mais la rebellion pacifique française autant qu’américaine n’est pas loin et je retiens un sourire devant les superbes chaussettes violines cachées sous un grand bureau.

Quelques jours plus tard, El niño vient s’engouffer dans les larges boulevards. Son attitude insolente et insolite justifie son nom: c’est en tout point un enfant capricieux. On entendrait presque son rire dans la bourrasque qui pousse les courageux marcheurs contre les murs et les malheureux cyclistes contre les voitures garées.

Finalement, Noël approche. Au lieu d’une neige vierge, paradent des palmiers à fière allure dans leur tenue de guirlandes dorées.